Les origines du tarot de Paul Marteau

Le tarot le plus populaire
Lorsque l'on recherche l'origine du tarot de Paul Marteau, plus connu sous le nom d'Ancien tarot de Marseille, édité par Grimaud, depuis sa première édition jusqu'à aujourd'hui, on trouve de nombreuses histoires. Deux d'entre-elles reviennent fréquemment et, bien que sérieusement documentées, elles semblent s'opposer. L'une prétend que le tarot de Nicolas Conver est son ancêtre, alors que l'autre lui voit plutôt un certain tarot de Lequart-Arnoult. Qu'en est-il réellement ? Ces deux théories comportent chacune une part de vérité. En apportant quelques ajustements à ces deux hypothèses, nous allons pouvoir les concilier. 


Tarot de Paul Marteau Grimaud 1930 Édition originale
Première édition du tarot de Paul Marteau
Grimaud, dans sa boite bleue à tiroir

Les postulants
Si nous recherchons dans la multitude de tarots de type II (ceux dont le graphisme s'approche suffisamment de celui de Paul Marteau), nous en trouvons plus d'une dizaine. Mais par le nom que Paul Marteau donne à son tarot, il y a une référence directe à un ancien jeu provenant de Marseille. Il ne nous reste donc plus que, (par ordre chronologique) ceux de Nicolas Conver (1760), François Bourlion (1760), Joseph Feautrier (1762), François Tourcaty (1745), Suzanne Bernardin (1839) et éventuellement un tarot antérieur à tous ceux-là et dont nous ne connaissons pas le lieu de fabrication, celui de François Chosson (1672). Paul Marteau, étant lui-même collectionneur de jeux de cartes, il faisait très certainement référence à un jeu qu'il possédait, ce qui permettrait de supprimer de la liste le tarot de Chosson (source : Catalogue de la donation Paul Marteau, Bibliothèque nationale, 1966).  Cela nous laisse encore trop de possibilité pour retrouver l'origine de notre ancien tarot de Marseille. Heureusement, quelques informations permettent d'associer le tarot de Paul Marteau à l'un de ceux pré-cités et donc de retrouver la plus ancienne référence de l'Ancien tarot de Marseille de Grimaud. 

Tarot de Nicolas Conver - Le Pape
Tarot de Suzanne Bernardin Tarot de Nicolas Conver
Suzanne Bernardin      Nicolas Conver    

Tarot de François tourcaty Tarot de François Chosson
    François Tourcaty      François Chosson    

Le plus ancien modèle
En 1880, le tarot de Nicolas Conver se voit encore imprimé au pochoir, mais avec une palette réduites à cinq couleurs (rouge, jaune, bleu, rose et noir, le vert étant obtenu par superposition du bleu et du jaune) au lieu de six pour les éditions précédents. Cette édition jouera un rôle essentiel dans les choix qui mèneront Paul Marteau à réaliser son tarot, puisque'il en reprendra très précisément les teintes en les appliquant quasiment de la même manière. Par ailleurs, c'est à partir d'une autre édition du tarot de Nicolas Conver (celle réalisée par la maison Camoin en 1960) que Paul Marteau illustrera son ouvrage Le tarot de Marseille. Nous pouvons donc affirmer que le tarot Grimaud de Paul Marteau descend bien de celui de Nicolas Conver, en tout cas, au moins de l'édition de 1880. Par ailleurs, Paul Marteau ayant possédé dans sa collection un exemplaire du tarot de Nicolas Conver datant d'environ 1800, il semble qu'il ait aussi fait référence aux toutes premières éditions de ce tarot. À ce stade, le mystère de l'origine du tarot de Grimaud semble avoir été résolu. Mais celui de Lequart se situant chronologiquement entre le Conver et le Marteau, ne joue t-il pas un rôle dans cette histoire ?

Tarot de Nicolas Conver - Le Pape
Tarot de Nicolas Conver Tarot de Nicolas Conver
      Nicolas Conver                Paul Marteau
                 1880                                1930

Tarot de Nicolas Conver
Cette édition du livre de Paul Marteau
(1970) est illustré des images du tarot
de Nicolas Conver de 1960
Lequart entre dans la danse
Édité plusieurs fois par la maison Lequart entre 1880 et 1890, ce jeu nommé Tarot italien reprend très précisément le dessin des anciens tarots cités ci-dessus (1672 à 1839), à trois détails près : les images sont redessinées avec un trait légèrement plus gras, les six couleurs au pochoir sont entièrement revisitées, et à partir d'une certaine édition, la Papesse et le Pape sont remplacés par Junon et Jupiter, faisant ainsi de ce jeu un tarot dit de Besançon (Alors que les premières éditions Lequart avaient bien le Pape et la Papesse, voir ci-contre). Le deux de deniers est daté de 1748. Il ne s'agit pas de la date d'édition de ce jeu, mais de celle de l'attestation d'un cartier parisien du xvıııe siècle, Arnoult,  dont Lequart avait acquis le fond et utilisé le nom et la date, probablement pour donner un ton d'ancienneté à son tarot tout récemment dessiné aux alentours de 1880. Contrairement aux tarots du xvııe et xvıııe siècles, le Chariot  ne mentionne pas les initiales du graveur : le blason a totalement disparu. Autre détail amusant : l'ange du Monde est barbu. Pour en revenir à notre enquête, il n'est pas aisé de dire quel jeu a servi de modèle pour le tarot italien de Lequart, car même si l'on est tenté de proposer celui de Nicolas Conver, aucun indice ne nous permet d'affirmer quoi que ce soit avec certitude et il pourrait bien s'agir de n'importe lequel des tarots du xvııe et xvıııe siècles, évoqués en début de cet article.

(Note : pour une interprétation du tarot de Besançon, lire cet article)

Tarot de Nicolas Conver Tarot de Nicolas Conver
            Bateleur                        Papesse

Tarot Lequart Junon
       La Papesse est remplacée par Junon

Tarot Lequart Chariot
Il n'y a pas de signature sur le Chariot
Changement de propriétaire
En 1891, Grimaud acquiert la maison Lequart et poursuit l'édition du tarot italien en effectuant deux modifications majeures. Bien que la palette de couleurs soit inchangée (mis à part le bleu ciel qui devient gris), ces dernières sont appliquées légèrement différemment et présentent même des effets de tramages (comparez ci-contre dans les rouges avec les images du Lequart, deux images plus haut) ainsi que de subtiles retouches de finition, comme un léger rehaussement de rouge sur les lèvres de Junon. La deuxième modification est la signature du cartier : elle apparaît à nouveau sur le Chariot et l'on y voit dans une sorte de blason, les lettres VT. Il est manifeste qu'il y a bien là une référence au célèbre tarot de Nicolas Conver car les autres cités plus haut font tous mentions d'initiales différentes : François Tourcaty (FF), Suzanne Bernardin (sans initiale), François Chosson (GS), etc. Par ailleurs, ce tarot conserve sur le deux de denier la signature Arnoult 1748 et la barbe de l'ange du Monde. Ainsi, bien que l'édition de Lequart du Tarot italien ne semble pas obligatoirement descendre de celui de Nicolas Conver, celle de Grimaud en revendique une certaine paternité.

Tarot Lequart Junon
Grimaud maquille Junon au rouge à lèvre

Tarot Lequart Chariot
Grimaud fait réapparaître la signature
du tarot de Nicolas Conver : VT
…et la boucle est bouclée
À la tête de la maison Grimaud depuis 1920, Paul Marteau remplace du catalogue de l'entreprise, le Tarot italien par un jeu qu'il nomme Ancien tarot de Marseille. Il y apporte deux changement significatifs : la Papesse et le Pape reprennent leur place (au lieu de Junon et Jupiter des dernières éditions du Tarot italien) et les couleurs sont à nouveau modifiées. Pourquoi ces deux changements ? Pour le premier, il est probable que Paul Marteau, s'intéressant à l'ésotérisme et à l'histoire des jeux de cartes, ait voulu rendre les images telles qu'elles étaient au départ, c'est à dire telles que celles du jeu de Nicolas Conver et des autres tarots anciens. Quant au choix des couleurs, deux explications sont à envisager. La première pourrait être l'économie engendrée par la réduction des couleurs, cependant étant donné que nous passons de 6 à 5 couleurs, l'économie ne semble pas énorme (d'autant que Grimaud possédait ses propres imprimantes). Un autre facteur, certainement plus déterminant, est que ce tarot adopte dorénavant les teintes de celui de Nicolas Conver dans son édition de 1880. Il est donc possible que ce dernier ayant eu un certain succès, Grimaud ait voulu le concurrencer par un produit similaire. Une autre hypothèse serait que Paul Marteau, étant lui-même versé dans l'ésotérisme, il ait préféré par « goût ésotérique », offrir à ses clients un tarot répondant à son idéal. Notons que, par rapport à l'édition du tarot italien, le deux de denier remplace la signature d'Arnoult par celle de Grimaud et ajoute la date 1930 (mais conserve aussi celle de 1748, certainement pour faire valoir un ancien savoir-faire).

En résumé, le tarot de Paul Marteau descend bien de celui de Lequart-Arnoult, car c'est très exactement le même dessin que l'on retrouve dans ces deux tarots (y compris pour le Pape et la Papesse de la première édition de 1880c). Par ailleurs, il descend également de celui de Nicolas Conver de 1880 puisqu'il en reprend les couleurs vives ainsi que le VT du chariot. Le tarot de Lequart-Arnoult, quant à lui, descend d'un ancien tarot, possiblement celui de Nicolas Conver. En conclusion, nous pouvons concilier les deux hypothèses initiales et affirmer ainsi que le tarot de Paul Marteau descend de celui de Lequart ET de celui de Nicolas Conver.

Tarot de Nicolas Conver Tarot de Nicolas Conver
Grimaud aux couleurs du Conver de 1880

Tarot de Nicolas Conver
Les deux dates figurent sur le deux de denier : celle d'Arnoult (1748) et de Grimaud (1930)
Comparaison synthétique
Voici un tableau comparatif des diverses éditions de la lignée Conver-Lequart-Marteau, avec la date, la signature figurant sur le blason, le nombre de couleurs (noir compris), la technique d'impression et le type de tarot.

Tableau comparatif des tarots de Nicolas Conver, Lequart-Arnoult et Paul Marteau Grimaud