Bien connu des voyantes et des amateurs de cartomancie, le Grand jeu de Mlle Lenormand a des origines incertaines. Il n'est pas aisé d'en reconstituer l'histoire, car les anciennes éditions se font rare, ce jeu a été amené à changer de nom et que pour nous parvenir, le Grand Lenormand a traversé trois cartiers parisiens. Une enquête qui nous fait remonter au milieu du xıx^e siècle.

La plus ancienne édition qui nous soit parvenue est signée « J. Gaudais », cartier connu pour avoir produit durant le xıx^e siècle (voir la note en fin de section). Le trait noir, assez grossier, était imprimé en lithographies et les images mises en couleurs au pochoir et le dos est illustré d'insectes rouges. Nous n'avons malheureusement pas la boite ni le livret, qui permettraient peut-être de dater ce jeu de cartes. Toutefois, un ouvrage daté de 1845 y fait directement référence, puisqu'il signale en couverture :

« Grand jeu de société pratiques secrètes de Mme Lenormand. Explication et applications des cartes astro-mytho-hermétiques avec de nombreux exercices sur les fleurs, les animaux, les couleurs, et la manière de faire des talismans ; suivi de la géomancie et d'un dictionnaire de fleurs emblématiques, par Mme la Comtesse de ***. Avec gravures et un jeu de 54 cartes coloriées. Paris. Chez l'éditeur, 46 rue de Vivienne, au premier - 1845 ».

Produit par l´Imprimerie de Prévot et Drouard à St-Denis, le livre se présente en cinq partie, dont la première décrit le sens symbolique des cinquante-deux cartes. L'ouvrage ne présente aucune illustration du jeu de carte. Il semble que notre édition de Gaudais soit antérieure au livre et qu'elle ne peut donc avoir été conçue après 1945.

Note : Concernant la période de production de J. Gaudais, nous avons deux datations différentes :
1) D’après Thierry Depaulis (Cartiers parisiens du xıx^e siècle, 1998), le cartier aurait été actif de 1875 à 1881.
2) D'après Stuart R. Kaplan, (The Encyclopedia of Tarot, vol. II, page 211, sources B3, FO, KA1, KA2), le cartier aurait été actif de 1820 à 1890.

Gaudais a ensuite été cédé à Pussey en 1868 qui en a poursuivi l'édition. En accord avec les nouveaux procédés d'impression de l'époque, le trait a été entièrement redessiné (plus finement que les versions précédentes) et cette fois mis en couleurs en quadrichromie (et non plus au pochoir). Le jeu est imprimé sur des cartes épaisses avec un dos écossais et se présente dans une belle boite à tiroir portant le titre, une illustration et la signature du cartier. On peut en voir l'enveloppe sur le site Gallica (BNF).

Après le rachat de Pussey par Grimaud en 1890, ce dernier continue à éditer ce jeu sous le nom « Grand jeu de Mlle Lenormand » (l'éditeur a choisi de mettre en avant le nom de la célèbre voyante pour bénéficier de sa popularité). Fidèle à sa nouvelle politique, Grimaud accompagne son jeu de cartes d'un livret explicatif (ce qui ne semble pas être le cas des précédentes éditions). Cela permet en outre de dater les différentes éditions produites par Grimaud grâces aux références en quatrième de couverture. Le livret reprend fidèlement le contenu du livre de 1845. Étrangement, Grimaud a édité les deux versions de Gaudais (traits grossiers) et Pussey (dessin plus fin). Dans sa version d'après Pussey, les cartes et le livret se présentent dans un étui à tiroir d'abord bleu, puis rouge (suivant les éditions, l'ouverture se fait par le haut ou par le bas).  Peu après la Deuxième guerre mondiale, le 31 décembre 1945, le Général de Gaulle supprimera la régie sur les jeux de cartes à jouer et ces éditions en boite (cette fois sans cachet fiscal) se poursuivront encore quelques années.

Au début des années 1960, les boites à rabats font leur apparition. C'est la « période bleue » de Grimaud auxquels participent la Sibylle des salons, le Jeu de la main et le Grand jeu de Mlle Lenormand. Le boitier subira une dernière modernisation pour nous parvenir tel qu'on le trouve encore aujourd'hui dans les boutiques ésotériques, en version moderne : dos de cartes à petits carrés bleus, coins ronds, surfaces plastifiées et impression en quadrichromie offset. Sur une période de plus de cent-soixante-dix ans, le Grand jeu de Mlle Lenormand aura été décliné en une dizaine de présentations différentes, que les collectionneurs subdivisent désormais en autant d'éditions que Gaudais, Pussey et Grimaud ont successivement produites.

Suite à cet article, j'ai été contacté par un internaute qui a apporté quelques précisions concernant les successeurs de la maison Gaudais. Merci à François Magnet pour ces informations :

J Gaudais a repris la Maison Testu qui est l’un des premiers fabricants de cartes parisien : Cette Maison remonte à 1798 (c'est en tout cas la plus ancienne source attestée) : Testu est le successeur de Minot exerçant en 1798. Testu devait avoir du prestige car tous ses successeur mentionnait « successeur de la Maison Testu ».

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